
Le 29 juillet 2007, à Dakar, Nicolas Sarkozy avait prononcé un discours que beaucoup d’africains avaient considéré comme son projet d’une Françafrique euro-africaine dépoussiérée.
Figure de style.
Cette allocution, qui avait frappé par la franchise du ton et par la simplicité du style, battait le record des longueurs. Le propos était vibrant. Il résonnait comme s’il devait se décliner sur le rythme d’un tam-tam parleur. Le nouvel "ami de l’Afrique" avait voulu tout dire et il avait effectivement tout dit, avec un équilibrisme qui frise le funambulisme. Il condamnait d’abord sans appel l’esclavage et le colonialisme, mais renvoyait la repentance aux calendes grecques.
Il invita l’Afrique à se tourner vers l’avenir, mais ne lui avait pas demandé pas d’oublier le passé. Il fustigea les ravages de la colonisation, mais ne s’interdit pas d’en égrener les bienfaits. Le message était nommément adressé aux jeunes africains, mais, à travers eux, c’est à l’ensemble du contient que Sarkozy parlait. Il faisait d’ailleurs montre d’une bonne connaissance des maux qui minent l’univers subsaharien.
Avec Stephen Smith, il partagea la conviction que "la pauvreté de l’Afrique est une pauvreté humaine". Avec Axelle Kabou, il fustigea la routine "répétitive" qui fait de l’existence un éternel retour. Nicolas Sarkozy exhorta la jeunesse africaine au rêve, à l’image de toutes les jeunesses du monde. Il l’invita à s’inventer des paradigmes autres que ceux de leurs aînés, à savoir l’enrichissement express et solitaire, la frime et l’appel à l’aide étrangère sur fond de procès à d’introuvables boucs émissaires. "Je sais qu’on vous pille, déclara Sarkozy, mais cessez au moins de vous saborder et vous serez plus fort, pour résister à l’adversité. Ne donnez pas vous-mêmes aux autres le bâton pour vous frapper".
Voyage en terre inconnue.
Contrairement à sa précédente tournée africaine, Sarkozy s’était gardé de minimiser l’économie de l’Afrique subsaharienne. Entre-temps, il a dû apprendre qu’il ne pouvait pas continuer à prendre De Gaulle et Mitterrand à contre-pied, eux qui ne cessaient d’affirmer que la France ne pouvait être la France sans l’Afrique. Tant il est vrai qu’au-delà de l’économique chiffrable, il y a le culturel et le politique non chiffrables, mais tout aussi vitaux. Et encore que le sous-sol du continent ne laisse aucune puissance indifférente.
Et la parole ne fut pas bien reçue. Bref, notre intérêt porte moins sur les termes du discours de l’homme de l’ancien chef de l’état français que sur les réactions que son propos a suscitées sur le continent noir.
Dans l’ensemble, on avait enregistré des réprobations, voire de véritables levées de bouclier. Le premier reproche qui avait été fait à Sarkozy est de n’avoir rien dit de nouveau. Cela était vrai. Mais, pouvait-on, encore, dire quelque chose sur l’Afrique que n’aient dit René Dumont (1962), Jean Chatenet (1970), Axelle Kabou (1991), Pierre Merlin (2001), Stephen Smith (2003), Futurs africains (2003) et Ernest Tigori (2005), pour ne citer que ceux-là puis que la liste est longue. Le propos de Sarkozy n’était pas le gong de rupture que son auditoire attendait. Cet homme ne s’était jamais présenté comme un révolutionnaire ambitionnant de tourner le monde de 180 degrés.
L’administration est une continuité et il n’y dérogea pas. Le premier des Français de l'époque ne promettait pas, non plus, une pluie d’euros sur l’Afrique, qui ne serviraient d’ailleurs pas à grand-chose. La France, pour avoir donné l’abbé Pierre, n’est pas une "nation abbé Pierre". Même quand elle le voudrait, elle n’en aurait pas les moyens. Ce pays est une puissance moyenne et comme toutes les puissances de l’histoire, ce qui importe le plus c’est de s’y maintenir, dans un monde à compétition de plus en plus féroce. Concernant l’aide française, le classement effectué par des organismes spécialisés place ce pays parmi les nations les moins généreuses. Il est surtout de ceux qui donnent par la main gauche et reprennent par la main droite. Il était peu probable que Sarkozy rama à contre-courant de ses prédécesseurs. Le plus grand service qu’il peut rendre aux Africains était de persévérer dans cet appel à se faire loups parmi les loups. Quoi qu’il en soit, la politique de la main tendue et des rentes de situation ne fait plus recette.
Par devoir et pour le devoir.
Le discours du président français de l’époque le plaçait sur une orbite différente de celle de ses prédécesseurs, par la liberté du ton et l’envergure de l’analyse. Visiblement, Sarkozy s’était fixé, comme objectif, de choquer sans blesser. Ce pari, il ne l’avait pas gagné, mais il avait sans doute la satisfaction de s’être acquitté d’un devoir.
Sarkozy avait dans son discours invité les Africains à se faire loups parmi les loups, car il savait que c’est le seul moyen de ne pas se faire dévorer dès lors que les loups ne se mangent jamais entre eux. Il ne faudrait compter ni sur la Bible, ni sur le Coran, ni sur le Vaudou et encore moins sur les lois humaines, pour espérer un jour adoucir les mœurs des loups vis-à-vis des moutons.
Il y’avait un lever de bouclier suite à ce “discours de Dakar”. Dans la virulence vis-à-vis du propos de Sarkozy, la palme revenait au grand camerounais Achille Mbembé. Cet homme de talent, historien, politologue et enseignant universitaire s’était bien illustré par son excellent livre "L’Afrique a-t-elle besoin d’un ajustement culturel". Il n’y était pas allé du dos de la cuillère. Sa diatribe largement partagée rivalisa de longueur avec le discours de Nicolas Sarkozy, comme s’il eut voulu se conformer à la loi de la physique qui veut que l’action et la réaction s’égalent. On pouvait aussi retenir le commentaire d’un autre jeune africain qui nous faisait remarquer que: "Sarkozy, fils d’un immigré hongrois n’est pas français et ne connaît pas les relations entre la France et l’Afrique".
Il s’agissait là, d’une super “nègrerie”, qu’il eut fallu ne pas chercher à exporter hors du continent qui eut le privilège de voir gambader le premier homme. Sarkozy voulait choquer; il a réussi. Il voulait provoquer et lancer un signal fort à sa "France d’en bas" ; il a également réussi. Toutefois, son discours révélait une profonde méconnaissance des réalités africaines et ce n’est pas en se défoulant sur les "pauvres" africains qu’il allait masquer ses propres faiblesses. Sur ce plan précis, son échec a été lamentable. Et les Africains dignes, qui ne se retrouvaient pas du tout dans ses formules toutes faites, en étaient parfaitement conscients.
Aloussa Djaming
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